Depuis la pandémie de Covid-19 en 2020, la santé mentale est un sujet de plus en plus présent dans le débat public. En effet, en 2021, 20,8 % des jeunes de 18 à 24 ans déclaraient avoir subi un épisode dépressif*. Pourtant, bien que la santé mentale ait été proclamée grande cause nationale pour 2025, elle ne cesse de faire l’objet de caricatures, d’approximations, de simplifications, voire parfois d’une récupération marketing.
Certains considèrent que le Covid serait le seul facteur de cette détérioration. D’autres résument la complexité des troubles et maladies psychiques à l’utilisation excessive des réseaux sociaux par les jeunes. Même les initiatives sincères passent parfois à côté de la complexité du sujet. C’est le cas, par exemple, de Miel Abitbol, influenceuse et militante engagée pour la santé mentale des jeunes. Malgré sa détermination, la création d’une application dédiée, et la collaboration de professionnels dans son projet, Miel Abitbol affirme régulièrement que la principale cause de la dégradation de la santé mentale serait le système scolaire français. Or, bien que ce facteur soit effectivement reconnu comme l’un des éléments déclencheurs de l’augmentation des troubles psychiques, il est loin d’être le seul.
Chacun tente d’identifier une cause unique à la dégradation de la santé mentale, comme pour simplifier le problème afin de le rendre plus facile à résoudre. Le Covid, les contenus sur les réseaux sociaux, ou encore le système scolaire sont effectivement des causes réelles. Chacune a son poids. Mais elles ne sont pas les seules. Il faut rappeler que les problèmes psychiques sont multifactoriels et qu’ils résultent d’un contexte biologique, social et environnemental. Parmi les causes, on trouve notamment le mode de vie de plus en plus sédentaire, l’augmentation du chômage et de l’instabilité économique, le contexte politique et géopolitique, la crise climatique, les bouleversements familiaux, la montée de l’individualisme, la consommation de stupéfiants, d’alcool et de tabac, ainsi que les antécédents familiaux**.
Pourtant, il est rare d’entendre parler de ces sujets dans les médias ou dans la sphère politique.
Contacté par Miel Abitbol sur Instagram, le président Emmanuel Macron lui a répondu qu’il essayait de mettre en place des moyens pour « prévenir » les problèmes de santé mentale***. Ces mesures de « prévention » sont : le remboursement de consultations psychologiques, la mise en place de référents dans les universités, la sensibilisation des enseignants, ainsi que la réouverture de postes en psychiatrie. Ces solutions sont certes nécessaires, mais elles ne traitent qu’une partie du problème. Il ne s’agit pas ici de véritables mesures de prévention, contrairement à ce que déclare le président, mais de dispositifs visant à soigner les troubles une fois qu’ils sont déjà installés. Il est donc essentiel de maintenir ces mesures pour accompagner les personnes souffrantes. Mais il est tout aussi crucial de mener des réformes structurelles afin de prévenir l’apparition des troubles psychiques.
Qu’en est-il, par exemple, de la réforme du système scolaire ? De la suppression de Parcoursup ? Qu’en est-il de la politique de réduction des inégalités socio-économiques ? De la régulation des contenus sur les réseaux sociaux ?
Les responsables politiques s’attaquent à TikTok, qui est effectivement l’un des réseaux sociaux les plus problématiques, en raison de son algorithme. En effet, selon un rapport publié en 2022 par le Centre contre la haine numérique, visionner quelques vidéos sur TikTok à propos de santé mentale ou d’image corporelle suffit pour que la plateforme propose, en moins de 2,6 minutes, du contenu sur le suicide, et en 8 minutes, sur les troubles du comportement alimentaire****.
Mais il est important de rappeler que la plupart les réseaux sociaux représentent une menace, dans la mesure où la modération des contenus y est largement défaillante.
Et si l’on évoque les contenus violents, alarmistes et anxiogènes, il faut aussi parler de ceux diffusés par certains médias traditionnels : images de guerre ou d’attentats diffusées sans avertissement, discours alarmistes sur une possible troisième guerre mondiale à chaque crise diplomatique, sensationnalisme pendant la pandémie... Mais évidemment, remettre en cause les méthodes des grands groupes médiatiques ne plaît pas à tout le monde.
Au-delà de cela, une prévention plus active sur les bienfaits de l’activité physique et d’une alimentation équilibrée, tant pour la santé physique que mentale, serait nécessaire. Mais encore faut-il que ce soit matériellement possible. Comment concilier des journées de cours jusqu’à 18 h, les devoirs, une activité physique régulière et un sommeil de qualité ? C’est un véritable casse-tête pour les lycéens, encore plus pour ceux déjà en difficulté scolaire.
Toutes les causes de la dégradation de la santé mentale ont un point commun : elles sont structurelles. Malheureusement, évoquer ces problèmes de manière nuancée ne permet pas de battre des records d’audience, ni de séduire les électeurs. Ces sujets exigent des réformes lourdes, coûteuses, et une capacité à remettre en question certains dogmes bien installés. Parfois même, il faudrait admettre des erreurs passées. Ces réformes rencontreraient inévitablement de nombreux obstacles.
L’idéologie méritocratique, dont bénéficient notamment les grandes écoles, rend difficile la remise en cause du système scolaire. L’idéologie néolibérale, qui valorise la responsabilisation individuelle, est incompatible avec l’analyse des causes structurelles des troubles psychiques. Les réseaux sociaux, quant à eux, sont portés par des logiques économiques extrêmement puissantes. Il ne s’agit pas ici d’ignorer les difficultés existantes. Mais ce sont des combats qu’il faudra mener. L’enjeu est de taille. Et si, pour convaincre, il faut parler d’argent, alors rappelons que la prévention coûtera toujours moins cher, à long terme, que la gestion des conséquences, comme l’indique le rapport Headway de 2024*****.
Sinon, cela engendre une chaîne de conséquences. Car si l’on refuse de regarder en face les véritables causes de la détérioration de la santé mentale, on ne peut pas agir en amont. On se contente alors de gérer les crises, au lieu de les prévenir. Pourtant, il serait possible d’anticiper une partie de ces troubles — ou du moins leur aggravation — et d’épargner à de nombreuses personnes des souffrances évitables.
Et puisque l’État n’agit pas suffisamment, que les services de santé mentale sont saturés, et qu’obtenir un rendez-vous avec un psychiatre relève souvent du parcours du combattant, d’autres, y voient une opportunité commerciale...
Des individus non formés se présentent comme « coachs », « thérapeutes », « guérisseurs » et pratiquent illégalement****** des soins psychiques, souvent à des tarifs exorbitants. Ces pratiques détournent des personnes vulnérables des soins reconnus, avec parfois des dérives sectaires à la clé, comme en témoignent les rapports de la MIVILUDES*******.
Il convient de rappeler qu’en France, les seuls titres reconnus et protégés en santé mentale sont : « psychiatre », « psychologue » et « psychothérapeute ». Tous les autres titres, tels que « coach », « thérapeute », « coach en développement personnel » et autres, ne nécessitent aucun diplôme (du moins reconnu par l’État) ni autorisation particulière. Leur fiabilité est donc loin d’être garantie.
Notes :
* Selon Santé publique France, relayé par Statista
** Ameli.fr – Assurance Maladie : « Qu’appelle-t-on bonne santé mentale et troubles psychiques ? »
*** Vidéo d’Emmanuel Macron diffusée sur Instagram le 30 mars
**** Deadly by Design – Center for Countering Digital Hate, 15 décembre 2022
***** Rapport Headway 2024 – Angelini Pharma
****** L’exercice illégal de la médecine est réprimé à l’article L4161-1 du Code de la santé publique
******* Article de Vidal : « Santé et bien-être en tête des signalements de dérives sectaires », 10 avril 2025
Merci, c’est très pertinent